Lanceurs d’alertes en France … Toujours pas de sécurité !


Le 29 septembre 2015 était organisé à l’Assemblée nationale  un colloque sur les lanceurs d’alerte. Ce colloque organisé par Transparency International et la Fondations des Sciences Citoyennes avait pour objectif comme tous les ans de faire le point sur la situation et la protection des lanceurs d’alerte en France.

L’actualité la plus brûlante (nous parlons de moteurs diesels allemands) a donné une tonalité particulière à cette réunion prévue de longue date.

Une présentation intéressante du modèle « le plus abouti » de texte a été faite. Il s’agit du Protected Disclosures Act irlandais de 2014. Cf. le lien.

De ce colloque on peut retenir plusieurs choses :

D’abord en terme d’actualité : Un projet de loi sur la corruption de manière plus globale devrait être présentée mais une proposition de loi sur les lanceurs d’alerte devrait également être initiée (une autre ?)… il a été considérée que la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique faisait certes bien son travail mais que son périmètre n’était pas assez large. Ainsi qui gère les DPI des fonctionnaires pourtant inclus pour une certaine catégorie.

Le recours d’Experts travaillant dans le secteur privé au sein d’Agences nationales a été une nouvelle fois évoqué… (mais cette question mérite une thèse complète).

La question principale qui permettrait de définir l’intérêt à agir du lanceur d’alerte est de s’accorder sur le terme d’intérêt général (à agir). De là toute la différence avec la délation ou l’intérêt de nuire.

Ceci étant les parlementaires présents, fort motivés – et c’était agréable- , sont conscients qu’ils doivent lutter à l’intérieur même de leurs propres groupes politiques pour faire avancer ce dossier qui ne plait jamais au pouvoir en place.. Encore un sujet qui devraient transcender les bancs des hémicycles.

Qui peut être lanceur d’alerte

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Un tweet mémorable.. gardé dans mes archives !

Ce point doit être défini dans un texte législatif. Le Protected Disclosures Act irlandais montre ses limites quand il stipule que seuls les « Workers » d’une entreprise peuvent dénoncer l’anomalie.. Qu’en est-il des prestataires extérieurs auxquels on fait de plus en plus appel.. ou évidemment aux stagiaires qui n’ont pas le statut d’employés mais qui sont souvent les premiers, avec des yeux neufs, à tomber sur des énormités…

La question de la rémunération du lanceur d’alerte reste ouverte. Elle est loin d’être exclue même si personnellement elle me gêne. Certains en effet considèrent que l’intérêt général ne doit pas être pris au sens éthique du terme.

Ce point est le plus délicat. La notion de récompense à l’américaine ne semble pas opportune.

Cependant on ne peut occulter la question du sort même du lanceur d’alerte.

L’éviction de la personne de la société est systématique (ou la mutation dans un placard), le sort personnel de la personne qui ne peut pas être réintégrer l’entreprise évidemment (quand bien même les tribunaux l’accorde.. mais qui veut retourner se faire harceler jusqu’au suicide dans l’entreprise dont l’on a dénoncé les méfaits) ou même qui est « grillé » dans son milieu professionnel, ou plus largement dans toute entreprise doit être prise en compte. Certains lanceurs d’alerte se disent au RSA. Entre une prise en charge aux frais de l’entreprise jugée coupable et obtenir un pourcentage sur des sommes récupérées.. il y a une marge de discussion.

La question du silence

Si le lanceur d’alerte a parlé, que doit-on réserver comme sort (correctionnel, pénal) à ceux qui savaient mais qui n’ont pas parlé. Là aussi. Difficile de savoir quand ils auraient parlé, s’ils avaient les tenants et les aboutissants du dossier ou des éléments raisonnables… pour justifier leur acte.

La compliance : la grande inconnue

Malgré la bonne volonté affichée des élus présents, on remarque que les parlementaires ont une méconnaissance complète de l’existence dans les entreprises ou dans les organisations professionnelles des mécanismes d’autorégulation. Le terme compliance est abscons. Pour ne pas dire inconnu ( à leur décharge ce terme n’est toujours pas transposable littéralement dans la plupart des autres langues que l’anglais)

Cela pose le problème non pas de l’ignorance coupable des élus ou de la société sur la question de l’autodiscipline, autorégulation et de la Compliance, mais bien de l’incapacité des sociétés, entreprises privées, et pourquoi pas entreprises publiques, à communiquer sur les règles qu’elles s’imposent, aux services dédiés au contrôle interne et à  assumer ses services ou mettre en avant l’existence de ces postes clefs que sont des Compliance Officer (je n’aime pas le terme de Directeur conformité qui se rapproche plus de la qualité – norme- et préfère « intégrité »).

Oui les entreprises qui ont adopté en premier la Compliance étaient des grandes banques.. elles sont toutes dans le colimateur de la SEC… et Wolkswagen vient de faire une belle boulette pour ne pas reprendre les propos du dirigeant. Donc jusqu’à ici la Compliance fonctionne au quotidien dans des centaines d’entreprises… mais pas pour des très grosses déviances. Quand les marchés mettent la pression…

Il est donc essentiel pour les entreprises responsables de mieux communiquer sur les process internes de contrôle. Cela ne peut empêcher un dérapage mais il vaut mieux que ce soit les services internes compétents qui signale le problème plutôt que des sources extérieures. Ce doit être intégrer dans les cours de management.

Encore une fois, ce système de régulation ne fait pas partie de notre mode de raisonnement latin. Et le poids de l’Histoire en France est énorme, depuis les dénonciations de tous temps, les délations sous l’occupation, les lettres anonymes aux impôts.. le sujet est sensible. A nous, acteurs, d’inverser la tendance pour le bien d’un pays qui régresse dans le classement des Etats les moins corrompus..

Lobbies ou raison d’Etat

Le poids des lobbies a évidemment été mis en exergue notamment au regard de la directive sur le secret des affaires.  Mais également la raison d’Etat… et donc les lanceurs ne sont pas seulement des dangers pour les entreprises… mais aussi pour l’Administration. Parfois la plus haute. Des exemples de lanceurs d’alertes dans l’administration (Bercy) ou des sociétés publiques (SNCF) ont montré que les dossiers étaient enterrés…

le lanceur d’alertes est-il une « sentinelle de la démocratie ou un ennemi du système » comme s’interrogeait à juste titre France Culture il y a quelques mois

La place des réseaux sociaux

Enfin à une question qui portait sur le rôle des réseaux sociaux dans le mécanisme de lancement d’une alerte, il n’y a pas eu de réponse claire dans la mesure où les personnes qui ont pris la parole ne connaissaient pas exactement la définition des réseaux sociaux (si si )

Sur ce point-là, il importe de savoir à qui le lanceur d’alertes doit s’adresser : les autorités publiques (oui mais raison d’Etat) En interne (oui mais…son supérieur) sauf à adopter les règles FCPA qui étaient inconnues dans la salle – du moins jamais citées.

A ce titre, la presse a été plébiscitée comme étant le vecteur le plus sûr et capable d’un véritable pouvoir d’investigation.

Je pense effectivement que les réseaux sociaux (pensons à Twitter) ne peuvent délivrer que de l’information rapide et sans pouvoir apporter un fondement aux affirmations. En revanche annoncer e fait qu’un travail est en cours peut être, si le tweet n’est pas effacé avant d’être relayé… une assurance-vie.

Conclusion

De fait, j’en reviens encore à quelques idées fixes… la Cour des Comptes est un lanceur d’alertes depuis bien longtemps. Elle souffre de l’absence quasi-totale d’un pouvoir de coercition car bien souvent les rapports de l’année courante reprennent des constats des années précédentes.

Pour les lanceurs d’alertes particuliers, il est de l’intérêt de tous et dans le sens de l’histoire d’être transparent, clair. c’est un avantage compétitif que peu savent utiliser. La transparence ce n’est pas livrer ses secrets de fabrication (nota les brevets sont publics) mais s’assurer que les marchés publics ne sont pas plombés ou que des enfants au Pakistan ne sont pas ceux qui ont préparés vos biens de consommation.

Etaient présents comme parlementaires français: MM. Eric ALAUZET (Député), Eric BOCQUET (Sénateur), Charles de COURSON (Député), Yann GALUT (Député), Pierre MOREL-A-L’HUISSIER (Député)

Et Mme Michèle RIVASI, députée européenne

Liens :

Fondation des Sciences Citoyennes

Transparency International France

Protection Disclosure Act (En anglais)

Haute Autorité Pour la Transparence de la Vie Publique

Aller plus loin…

LOI n° 2013-316 du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte (1)

Le Guide du lanceur d’Alerte

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Transparence de la Vie Publique : Absolument débordés !


Je suivais une intéressante question parlementaire posée par  M. Michel VASPART (des Côtes-d’Armor – UMP – devenus Les Républicains mais c’est un détail ici) publiée dans le JO Sénat du 15/01/2015 – page 83 et la réponse est tombée cet été.

Plutot d’un long discours, je la reproduit ainsi que la réponse.

Je salue au passage Aurélie Boullet/ Zoé Shepard qui m’a inspirée pour le titre de ce post avec son ouvrage pour lequel elle a connu quelques déboires administratifs et judiciaires…  (Absolument dé-bor-dée, ou le paradoxe du fonctionnaire Paris,  Albin Michel, coll. « Documents »,  300 p. ISBN 978-2-226-20602-2 )

  1. Michel Vaspart attire l’attention de Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique sur le projet de loi n° 1278 (Assemblée nationale, XIVe législature) relatif à la déontologie des fonctionnaires déposé le 17 juillet 2013 sur le bureau de l’Assemblée nationale. Ce texte, qui étend aux fonctionnaires et aux magistrats les obligations déontologiques prévues par les lois sur la transparence de la vie publique, n’a toujours pas été examiné en première lecture. Le président de la haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) l’a rappelé le 7 janvier 2014 à l’occasion d’une communication de vingt propositions pour renforcer l’exemplarité et la probité publiques. Il souhaiterait connaître les raisons de ce retard. Il souhaiterait savoir si le Gouvernement prévoit bien d’inscrire ce texte utile à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Déclaration du député Éric Jalton (extrait)

Réponse de Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique publiée dans le JO Sénat du 06/08/2015 – page 1878

La densité des travaux législatifs engagés depuis deux ans n’a pas permis d’examiner plus rapidement le projet de loi relatif à la déontologie des fonctionnaires. Afin de faciliter son examen par le Parlement, le Gouvernement a déposé à l’Assemblée nationale, le 17 juin dernier, une lettre rectificative qui rationalise l’architecture générale du projet, en réduisant son nombre d’articles de cinquante-neuf à vingt-cinq. Ainsi recentré sur l’essentiel, ce projet de loi réaffirme la volonté du Gouvernement de consacrer les valeurs et principes fondamentaux de la fonction publique et de rénover son approche déontologique pour renforcer le lien de confiance qui unit les citoyens au service public. Le Gouvernement a également tenu compte des constats dressés suite à l’entrée en vigueur de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique et à la première évaluation de ses dispositifs réalisée par le rapport sur l’exemplarité des responsables publics, remis par M. Jean-Louis Nadal au chef de l’État le 7 janvier 2015. Outre la nécessaire meilleure articulation des compétences entre la Haute autorité de transparence de la vie publique et la commission de déontologie de la fonction publique, le Gouvernement souhaite compléter les outils déontologiques initialement prévus, conformément aux recommandations du rapport sur l’exemplarité des responsables publics. Ainsi, le projet de loi renforce notamment les pouvoirs d’information et d’investigation du Président de la commission de déontologie de la fonction publique et de ses rapporteurs. Il crée également une obligation de déclaration d’intérêts préalable à la nomination d’un agent public sur l’un des emplois listés, à raison de son niveau hiérarchique ou de la nature des fonctions exercées. Par ailleurs, le projet de loi vise à renouveler la culture déontologique des agents publics, grâce à la création d’une obligation pour chaque chef de service de désigner un agent public , un collège ou une entité de droit public, qui assumera le rôle de « référent déontologue ». Celui-ci apportera aux agents relevant de ce service tout conseil utile permettant d’éclairer leur réflexion déontologique et de prévenir les situations de conflits d’intérêts. Plus que jamais attaché au statut général des fonctionnaires et à un système de fonction publique qui constitue un gage de cohésion sociale et de continuité du service public, le Gouvernement manifeste ainsi sa volonté d’aller plus loin dans l’exigence d’exemplarité des agents publics.

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Et le mail du Sénat est drôle sans le vouloir, qui précise :

La question a reçu au moins une réponse.. (sic)

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