Voeux


Cette année plus encore que toutes les autres années passées, l’exercice des vœux est quelque chose que l’on aimerait voir évacuer rapidement ou annuler tant cela nous semble incongru de pouvoir fêter et souhaiter aux autres, à son entourage, une merveilleuse année trépidante, pleine de folie(s) de rêves inespérés, d’excentricité. En cela je me retrouve Ô combien dans l’article de Guillemette Faure dans le M du Monde sur les handicapés des voeux1

J’ai bien reçu des vœux récemment avec une pareille formule et je suis resté dubitatif tant le décalage entre les souhaits, certes sincères, et la probabilité d’une telle réalisation paraissait abyssal. Et quand j’écris abyssal, c’est bien au sens premier, celui des Mariannes (dont le rapport avec le symbole de la France peut interpeller…).

Non, ce que je peux souhaiter de plus fou aux personnes à qui j’ai envie de présenter mes vœux ce n’est pas de se rebeller contre le couvre-feu ou le confinement et pouvoir faire des fêtes en cachette et vivre les émotions de mes 18 ans, non, peut être que la folie actuelle réside dans le fait de penser librement.

Cette libre pensée devient de plus en plus difficile, et dans son expression et dans l’accès à une information qui ne soit pas dominée par le numérique.

Non point que je sois contre le numérique mais tous les journaux, tous les organes de presse, et toutes les idées ne sont pas forcément atteignables avec une certaine aisance sur internet.

La liberté, si elle se réalisait, se trouvait, dans les réseaux sociaux, aura été de courte durée : Si ce n’est pas la censure elle-même par les géants du numérique (et je ne reviendrai pas sur les récentes affaires qui sont assez bien traités par un certain nombre de commentateurs) ce sont les commentaires contrariants, vulgaires, injurieux,  haineux, qui témoignent souvent d’une méconnaissance totale du sujet, mais qui forment une censure assez violente à des idées qui sont exprimées normalement à l’issue d’une réflexion.

Le caractère immédiat de la réaction est symptomatique d’une absence totale de discernement, et le temps de réponse n’existe plus. Immédiateté est le mot. Il s’ensuit que les réactions aux posts sur certains réseaux – twitter notamment- sont au numérique, ce que les pierres étaient à la première intifada. Par de curieux algorithmes, les commentaires les moins intéressants apparaissent en premier et viennent noyer dans la masse les réponses plus construites. 

Initialement ferveur défenseur de l’utilité des réseaux, je commence à trouver dans certains, et sans doute ceux qui suscite le plus d’engouement, un appauvrissement de la culture et de l’information, de la langue, de la tolérance et de l’écoute …est-ce là quelque chose de voulu délibérément ou un fait inéluctable ?

Je m’aperçois même que, moins présent, je m’autocensure.

Je l’espère, dans quelques temps, nous allons retrouver ce que nous avons communément l’habitude d’appeler une vie normale.

Nous allons retrouver les terrasses de café, enfin, les restaurants et les cinémas et les théâtres, nous allons retrouver bien évidemment des métros et des bus encore plus bondés, des automobilistes créant des embouteillages et des klaxons, des cyclistes qui vont énerver des automobilistes et des automobilistes qui vont énerver les cyclistes.

Alors ce que je vous souhaite en réalité c’est de ne pas oublier : De ne pas oublier que nous avions envie de retrouver entre les inciviques de la route, ceux qui coupent les files et passent devant nous au cinéma ou à la boulangerie, ceux qui passent leur temps à râler parce que cela n’avance pas. Ne pas oublier que finalement vous avez regretté le temps passé à cette photocopieuse au bureau, mais qu’il y a deux ans elle ne marchait pas mieux et qu’il fallait déjà attendre le technicien de Xerox pour qu’elle redémarre ; et que c’était la même chose pour le système informatique ou l’escalator, sans parler du distributeur de café.

De ne pas oublier que puisque l’on peut désormais passer ses nerfs en criant à l’extérieur, courir, faire du sport, il n’y a aucune raison recevable, admissible ou ententable de lever la main sur son conjoint. Ni pour le conjoint de le tolérer et le subir. Cela ne l’était pas plus avant, mais derrière claquemuré derrière des volets clos, il était difficile de composer le numéro vert…

Quelque part, nous avions, pour ceux qui ont pu maintenir le télétravail, une certaine forme de distance par rapport au monde productif au sens propre du terme, une certaine capacité à oublier ce que c’était la vie quotidienne de l’employé (ou cadre, c’est pareil dans certaines sociétés) de bureau. L’habituel emmerdeur était éconduit par (grâce à) un défaut de connexion ou un manque de disponibilité pour cause de téléconférences multiples.

Alors je vous souhaite surtout cette année de ne pas oublier que le monde d’avant n’était pas forcément meilleur que celui qui arrive, de se rappeler que rien n’est intangible mais que si vous voulez que le monde de demain soit différent de celui d’hier, comme chacun se plaît à le dire sur les réseaux sociaux avec des jolies images et des citations de tout ce que le monde du XXème siècle compte de penseurs et de philosophes, c’est aussi à vous et vous individuellement d’agir pour que cela change sinon nous allons retomber assez vite dans nos travers qui sont certes confortables, car nous les connaissons, mais qui ne font guère avancer le monde, ni nos vies.

La chance que nous ayons, au travers du drame que nous avons vécu et certains beaucoup plus que d’autres, c’est que nous avons enfin eu une raison presque objective à notre marasme (les conditions de la cyclogénèse reposent comme chacun le sait sur un cœur froid). Avec la crise sanitaire qui s’arrête, il nous faudra trouver des trésors d’inventivité pour avoir une nouvelle raison de faire la gueule.

1  « Pas de SMS de bonne année ni de « et surtout lasanté »… les paralysés des voeux » in M, Mag, 8 janvier 2021

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