La transparence comme j’ai souvent l’occasion de le dire est la partie immergée d’un iceberg. « Ethique » et « transparence » ne sont pas des notions similaires et encore moins de même niveau.
La transparence telle qu’elle est aujourd’hui délivrée aux citoyens n’est que le résultat « affiché » (cocasse pour transparent) d’un certain nombre d’évènements qui est la résultante d’une multitude d’actions et de procédures,
Sans refaire ici la genèse de la loi Bertrand de 2011 qui vient demander une « transparence » dans les relations entre l’industrie pharmaceutique (ou du médicament, la sémantique joue aussi pour AFSSAPS et ANSM) et professionnels de santé, avec la loi, le décret de 2012 et la circulaire d’application, un site unique a été instauré pour présenter sous forme de tableau (avec moteur de recherche) qui donne à qui et qui perçoit quoi.
- La création d’un beau site internet Transparence
Dans une relative urgence, les autorités ont réussi à créer un site unique pour être en mesure de faire non pas un portail mais une base (un bel exemple de Big data) reprenant les déclarations que devaient faires les entreprises aux différents ordres concernés à raison de leurs liens financiers. Car c’est de cela qu’il s’agit. Les Ordres tels que le CNOM avait déjà mis en place aussi dans une relative urgence les données reçues concernant les médecins communiquées par les entreprises (gros travail chez les uns et les autres, et quelques soucis d’harmonisation de langage informatique pour la petite histoire)
Le site national est un instantané (terme suranné pour cliché, lui-même plus compréhensible sous la forme de capture d’écran ou d’instant T).
Ce site, dont on a fait grand cas est visible pour chacun, c’est-à-dire aussi le grand public à cette adresse https://www.transparence.sante.gouv.fr/
Conformément à circulaire n° DGS/PF2/2013/224 du 29 mai 2013 relative à l’application de l’article 2 de la loi n°2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, on y trouve un moteur de recherche par entreprise et par professionnels de santé.
Quelles sont les données qui y figurent ?
A ce jour les données que vous pouvez trouver sont le montant des sommes versées au titre de l’hospitalité par les laboratoires, (Les firmes(1) pour reprendre la terminologie de l’administration) aux professionnels de santé, ligne par ligne
On y trouve par un onglet la nature des conventions réalisées entre les industriels concernés et les professionnels de santé. Seulement la nature, pas le montant, ligne par ligne également.
Comme dans toute situation nouvelle, nous avons des éléments qui viennent d’arriver et permettent un constat. Celui-ci va /doit permettre d’améliorer les pratiques et donc dans un an voir si la situation a évolué. Cela, à mon sens se faire au niveau macro comme au sein de chaque entreprise.
Quelles dont les données qui n’y figurent pas ?
C’est le hic…
D’abord le détail des conventions : ni lieu ni le montant ne sont indiqué. Seul un titre assez vague.
Cette question va être assez vite réglée car avant même l’application (volontaire) par les industriels adhérents de l’EFPIA2 du code européen qui impose la divulgation au premier janvier 2016 (Disclosure Code3) le montant des sommes correspondant aux conventions, le Conseil d’Etat, sur un recours du CNOM et de Formindep, il y a quelques semaines s’est prononcée sur la fameuse circulaire et vient de dire qu’elle n’était pas conforme à la loi et que devait être mentionné le montant des conventions pour respecter l’objectif de transparence assigné dans la loi.
Juridiquement, cette décision pose un réel problème de rétroactivité sauf pour certaines entreprises qui avaient, j’avais tiré la sonnette d’alarme sur ce point, anticipé la chose, ou prévu des champs complémentaires dans leur base de données. A ce titre Janssen a publié un communique de presse dans ce sens.
Ce à quoi sert réellement la convention : une formation qui a un intérêt particulier ou voir des titres un peu farfelues comme « Du plaisir au Cœur » et autres libellés qui rappelle le bon temps des séminaires à Cuba…
Ni ce qui est versé en…espèces, comme une très récente affaire vient d’etre révélée dans la presse. Autrement dit la transparence a ses limites. Si on agit d’une manière éthique au sens moral, on est exhaustif, si on interprète une règle juridiquement, on applique strictement chaque mot l’on cherche si posée après ou avant chaque et/ou une virgule donne un sens inclusif ou exclusif.
Que puis-je en déduire ?
Moi citoyen ? Rien. ou presque
Sauf que mon médecin a été invité pour 17 euros à déjeuner : à Paris (il a peine eu un jambon-beurre le pauvre) par un laboratoire, un menu ouvrier plus deux cafés en province. Vais-je en déduire qu’il est complément vendu aux labos…
Ou au contraire, qu’il a été invité par plusieurs laboratoires pour plusieurs conventions… c’est donc qu’il est reconnu, compétent et influent (KOL dans le langage des initiés)
(P.S) les sommes en deçà de 10 euros ne sont pas comptabilisées
- La réalisation de données agrégées
Au départ cela n’était pas possible. Un système évite les robots. Sauf des petits buges sur les sites des Ordres mais normalement la compilation des données est l’apanage des services qui gèrent le site (et éventuellement transmettent les données aux impôts… mais ce n’est pas le sujet)
Peut-on tirer des leçons de ces graphiques ! Oui ! Je les ai reçus 3 heures avant de faire un cours universitaire sur la compliance. Donc je les ai commentés en direct…
C’est là ce qui n’était pas prévu et qui, d’un prétendu scandale devient, si l’industrie sait réagir un formidable challenge.
Que voit-on sur les données agrégées qui circulent (cf. les images)
- Que les laboratoires ont dépensé 245 millions en cadeaux entre janvier 2012 et juin 2014. Sont comptabilisés en cadeaux les repas, l’hospitalité (compter une nuit) les hébergements, les (invitations à des) congrès, les transports, les dons ( !) et du divers (29%)
- La liste des 15 laboratoires les plus généreux (c’est assez surprenant d’ailleurs)
- Le nombre de contrats/conventions conclues pour la même période que précédemment avec la répartition des types de contrats (232 890 contrats).
Avant d’hurler, rappelons que l’hospitalité ET les conventions étaient connues des Ordres auxquels sont sinscrits les différents professionnels de santé et qu’un avis était demandé. Les contrôles étaient/sont effectués par la DGCCRF depuis loi dite Anti-Cadeaux de 1993, donc rien d’occulte. Seuls les cadeaux de valeurs négligeables (30 euros par an par personnes était tolérés) mais l’industrie, notamment sous l’impulsion de l’EFPIA a décidé de supprimer les cadeaux. Votre médecin n’a donc plus de stylo, de post-it et encore moins de smartphone offert par un laboratoire. Si vous en voyez encore, c’est collector.
Comme les cadeaux sont interdits, je m’étonne que les journalistes ayant compilés les données ai attribué ce terme. La dénomination « avantage » est usuellement appliquée
- La grande chance des entreprises (et des professionnels de santé)
D’abord la publication des données agrégées est un constat issu des premières déclarations et comportements, ce n’est pas un élément à charge, c’est factuel
Ensuite le commun des mortels (qui n’est pas forcément un patient) ne se préoccupe pas des données de ce site, ce sont des journalistes spécialisées qui le visite
Cela fournit un indicateur macroéconomique formidable sur les comportements des intéressés dont ils n’avaient …soit pas connaissance, soit pas compris les enjeux.
Nous sommes en année n. Le challenge que vont devoir relever les entreprises de santé ce n’est pas de réduire les budgets totaux de versements aux professionnels de santé, c’est de faire évoluer leur comportement en année n+1, n+2..
Sans considérations liées au budget général, l’emploi des fonds apparait évidemment complètement disproportionné entre l’hospitalité « pure » et les collaborations scientifiques, conventions d’experts (rapports de 1 à 4 !!)
Il convient donc pour les entreprises de santé, si elles ne veulent pas être sujettes à critiques de nouveau sur ce point, non pas de faire du lifting, mais de réellement redonner un sens à une vraie collaboration avec les professionnels de santé, en matière de recherche et d’études dont le fondement est médicalement et scientifiquement fondée. C’est une stratégie gagnante pour les entreprises, les professionnels…et pour les patients.
Restera encore à expliquer la différence entre un lien d’intérêt et un conflit d’intérêt… mais au contraire, plus un professionnel de santé travaillera avec divers laboratoires sur le développement de produits ou des études – non plus observationnelles ex Phase IV – mais désormais dans un PGR (Plan de gestion des risques) ou autre programme dans lequel il apportera sa pierre à l’édifice, et plus il sera indépendant de pensée !!
Le maillon faible des entreprises de santé a été, pardon pour mes amis qui en font partie, la communication (Mais santé et argent ne font pas bon ménage) alors que le marketing était plutôt une force. Si une entreprise agit de manière éthique, et c’est le sens de l’histoire, elle n’aura plus de problème de communication car le décalage entre la réalité et ce que veut entendre la société se réduira.
(1) Le terme « firme » fait assez « Constance du Jardinier » (The Constant Gardener) de John le Carré
(2) EFPIA Fédération Européenne des Industrie et Associations de l’Industrie PharmaceutiqueCode of Disclosure
(3) EFPIA CODE ON DISCLOSURE OF TRANSFERS OF VALUE FROM PHARMACEUTICAL COMPANIES TO HEALTHCARE PROFESSIONALS AND HEALTHCARE ORGANISATIONS
Sources des graphiques : http://www.regardscitoyens.org/
43.610769
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